ALEX TAYLOR
Le sang ne suffit pas
Traduction de l'américain de Anatole Pons-Reumaux
"Dans le gris vaporeux de l’aube, une vieille ourse descendit de la montagne et tua le cheval de l’Allemand mort. La pouliche, qui endurait l’hiver dans une remise délabrée, poussa un seul cri avant d’être réduite au silence par un puissant coup de patte."
"La bêtise de la femme le frappa de plein fouet, avec une force brutale, puis il comprit qu’une part de lui, peut-être la plus profonde, la plus secrète, tirait de tout cela un certain plaisir – la neige et les montagnes, l’Allemand mort et les récriminations absurdes de la femme et l’ourse mangeant le cheval, tout ça était un grand festin dont il allait chanter la succulence. "
"Fort Bannock. L’avant-poste, si on pouvait le considérer ainsi, était établi dans une clairière en contrebas de la masse sombre et embrumée des Crazy Jack Mountains – une chaîne mineure des Cumberland – et protégé des incursions des tribus shawnees et algonquines par une palissade de pieux de platane et une douve d’eau de pluie stagnante qui hébergeait par temps chaud un miasme de boue puante, de moustiques et de mouches piqueuses. L’endroit était paludéen, indigent. Il y flottait en permanence d’âcres relents de sphaigne et de tourbe marécageuse, de sorte que ses résidents pris ensemble donnaient l’impression d’une soudaine éruption de chancissure projetée depuis la terre enchevêtrée de racines, une brève éclosion putrescente en passe de retourner au sol qui l’avait engendrée. C’étaient pour la plupart des rebuts de la société qui se laissaient aller au gré des élancements du sang. Les montagnes et leurs ombres foisonnantes leur offraient leur propre image en miroir. Dans les cris des autours dans le grognement des pumas dans les hurlements de toute chose dilacérée résonnait le timbre uniforme de leurs voix. Ils ne tiraient pas leurs règles et leurs credo d’un livre ou d’un cantique, mais d’une pierre, d’un poisson, de la lune infernale."